Un « insoumis » si généreux et inoubliable: l’évêque Jacques Gaillot « le provocateur crucifié »…

Hiver 54! « un petit bonhomme » au béret noir encore inconnu du grand public parle à nos compatriotes. Ancien résistant et député MRP, l’abbé Pierre lance des appels nationaux à la solidarité sociale à la radio et la télé naissante pour venir en aide aux pauvres et sans domicile fixe en danger de mourir de froid dans l’ignorance. Il a tout compris l’abbé…Le premier médiatique.

Hiver 95: un autre « petit bonhomme » sans béret ni soutane, à petite voix et aux yeux bleus pénétrants, fait ses adieux à son diocèse d’Evreux après avoir été limogé par le souverain pontife. Comme un vulgaire entraîneur d’un club sportif en mal de résultats. C’en est fini de l’aventure ébroïcienne de 13 ans, du « père Jacques » destitué et invité à rejoindre un évéché fictif, Partenia. Il était trop moderne pour « son temps » celui qui avait été baptisé par le quotidien « Libération » « le provocateur crucifié ». L’un des premiers à se déclarer favorable au mariage des prêtres et à l’ordination des femmes.

Même si cette comparaison entre les deux religieux est un peu osée, elle a tout même un sens. Me semble-t-il.

Une personnalité hors du commun s’est éteinte hier après-midi à Paris à l’âge de 87 ans d’un cancer foudroyant à l’hôpital Pompidou. Il visitait encore, il y a peu, des détenus en prison. C’était un homme de Dieu aussi adulé que critiqué et haï pour ses prises de position non orthodoxes. L’évêque contestataire, pas vraiment un homme de salon, défenseur inépuisable de la cause des couples divorcés, des homosexuels et immigrés et de tant d’autres laissés sur le bord de la route. Son peuple. Ses minorités. Pour une empreinte inoubliable laissée dans la ville d’Evreux et dans le département. Et même bien au-delà sur notre territoire national, même si on ne partageait pas forcément, loin s’en faut, tous ses combats et ses…préférences politiques. Mais quel tandem improbable pouvait-il former alors avec l’autre personnalité du chef-lieu de l’Eure, le maire communiste, Rolland Plaisance. Un duo inséparable ou presque même autour du parquet de la salle Jean-Fourré pour encourager l’ALM basket. L’autre « fleuron » de la ville aux « Cent ponts ». Une paire d’amis très éloignée de la « gueguerre » de cinéma entre Peponne et Don Camillo. On pourrait presque y ajouter de l’autre côté une autre voix forte de l’époque en la personne de l’imprimeur Paul-Arnaud Hérissey, le « patron des patrons » de l’Eure. Ses coups de gueule tonitruants à l’égard du « père Jacques » me résonnent encore aux oreilles. Ils auraient même été entendus jusqu’au Vatican…ont rapporté certaines mauvaises langues.

Mais quels souvenirs à la fois personnels et professionnels pendant toutes ces années passées à Louviers puis Evreux où nous avons partagé plusieurs repas chez des amis communs et à l’Evêché, même si je ne faisais partie de ses intimes, sa « garde rapprochée » comme plusieurs de mes amis journalistes. Des images très marquantes de simplicité, de sourires « envoutants » qui faisaient son charme et aussi son arme de persuasion très performante auprès de certains et certaines. Il n’était pas un gourou mais il aurait pu l’être d’une certaine façon. Il portait la voix de ceux qui n’en avaient pas ou si peu dans l’opinion publique dans ces années-là. Elle choquait tout aussi sûrement une partie de ses fidèles beaucoup moins modernes. Comment pouvait-il en être autrement. Il « déménageait ». Et pourtant il n’avait pas la carrure du déménageur.

Jusqu’à ce jour de janvier 1995, un vendredi, où, avec un confrère de « Paris-Normandie », nous avons été le chercher sur le quai de la gare d’Evreux pour recueillir ses premières réactions à la rédaction du quotidien normand alors qu’il revenait de Rome où il avait pris connaissance de sa disgrâce quelques heures plus tôt. Jusqu’à aussi et surtout cette dernière journée ébroïcienne où plus de 10.000 personnes firent une procession autour de la cathédrale en soutien à leur évêque, Jacques Gaillot. Du jamais vu avec toute cette foule impressionnante en communion avec l’homme d’Eglise. Un événement tellement éloigné par son ampleur du silence assourdissant aujourd’hui des mêmes médias nationaux à l’annonce de sa disparition. Le paisible et discret retraité, grand amateur de livres qu’il offrait aux plus démunis ne faisait plus l’actualité depuis des années. Quelques lignes et encore ! A des années lumières du temps où il était recherché par toutes les caméras, micros et stylos. Il les aimait et les aimantait tout autant. Pour essayer de faire passer son message. Comment ne pas oublier les derniers mots de son homélie d’Evreux, lors de son départ, un résumé de sa pensée: l’Eglise doit être l’église des exclus et pas de l’exclusion. Le Christ a connu dans sa chair ce chemin de l’abandon et de la condamnation injuste de l’exclusion. Quand le peuple prend la parole, des nouveaux chemins s’ouvrent et des initiatives se prennent« …

Adieu « père-Jacques ». Que l’on a…en même temps tant aimé pour son charisme exceptionnel et parfois aussi détesté-un peu-pour ses choix et priorités que l’on peut estimer et non juger contestables. Mais cet insoumis-là on en redemande ! Contrairement à d’autres. Inoubliable. Comme ce que beaucoup de non pratiquants me disaient à l’époque « avec lui on a envie de croire « . Ce n’était pas faux !

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